Jules Marchal, un ancien forçat de Toulon

 

Les Alsaciens-Lorrains

 

Le traité de Francfort et l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine par la Prusse donnent aux transportés, originaires des communes composant ces deux provinces, le choix entre la nationalité française et la nationalité allemande et ce au titre de l’article 2 du traité du 10 mai 1871 et de l’article 4 de la convention additionnelle signée à Francfort le 11 décembre suivant. Une dépêche du 4 mai 1872 en informe les gouverneurs de Guyane et de Nouvelle-Calédonie :
« Les condamnés originaires des territoires cédés, qui sont actuellement dans les prisons, maisons centrales et établissements pénitentiaires de la France ou des colonies, seront dirigés sur la ville la plus rapprochée de la nouvelle frontière, pour y être remis aux agents de l’autorité allemande. »
Puis, les Affaires étrangères ayant émis l’avis que,
« Les condamnés à quelque catégorie qu’ils appartiennent ne sont pas déchus de la faculté d’opter pour la nationalité française, et qu’il ne nous croit pas tenus de livrer malgré eux, au Gouvernement allemand, ceux qui auront fait cette option »,
Le Département ordonne de « procéder à un recensement » et invite les transportés concernés « à opter dans les mêmes conditions que les habitants libres. »
•    Cent trente-quatre natifs des « communes annexées par la Prusse » sont recensés et interrogés dès septembre 1872 ; parmi eux 114 sont des condamnés en cours de peine, 19 des libérés et Joseph Klein est un des deux repris de justice transportés par erreur sur le convoi de l’Iphigénie.


•     Origines par département : Bas-Rhin : 59, Haut-Rhin : 37, Meurthe : 9, Moselle : 26 et Vosges : 3. 


En septembre 1872, ils ne sont que 10 à opter pour la nationalité française, 8 condamnés et 2 libérés dont un aliéné, Antoine Duchesnes, matricule 1741 libéré en 1870 disparaît ensuite des classements. Ce chiffre passera finalement à 13 en 1873, soit 10 % de l’effectif, certains ayant entre-temps modifié leur option.
Quant aux 121 autres qui ont opté pour la nationalité allemande, les modalités de leur rapatriement sont fixées par la dépêche ministérielle du 26 novembre 1872, et ils sont pour la majorité embarqués sur deux convois :
 Le Rhin du 24 mai 1873 pour 47 d’entre eux (dont 31 condamnés en cours de peine et 16 libérés, 
 L’Orne, du 6 juin 1873 pour 70 autres (tous condamnés en cours de peine).
•    6 condamnés restent dans la colonie ; le nombre de libérés concernés par l’option, est passé à 22
Onze transportés de l’Iphigénie ont eu la possibilité d’opter et quatre ont choisi de rester Français, donc de rester en Nouvelle-Calédonie. Parmi eux, seul Jacques Wendling est un condamné en cours de peine alors que Dominique Ulrich, Jean-Baptiste Sester et Thiébaud Hamm sont des libérés. 
Si l’on peut imaginer les raisons de l’option de Jean-Baptiste Sester marié à Bourail et père de famille, aucune motivation n’est donnée au choix des uns et des autres, de rester ou de rentrer. Les partants se composent indifféremment de transportés bien notés et d’autres mal-notés comme Frédéric Marx. 
•    Barré meurt en mer le 29 août 1873, pendant le voyage de retour de l’Orne.
•    En 1867, la femme Marchal avait renoncé « au bénéfice », « d’être transférée gratuitement de son domicile
En revanche, ils n’ont que très peu ou pas du tout été punis en Nouvelle-Calédonie.
Les bons ou les mauvais traitements de l’Administration pénitentiaire ne semblent pas avoir joué un rôle important au moment du choix, d’ailleurs le pourcentage de 90 % de transportés originaires d’Alsace-Lorraine ayant choisi de rentrer constitue un fait qui se suffit à lui-même.
Les Alsaciens-Lorrains représentent un exemple unique dans l’histoire de la transportation en Nouvelle-Calédonie. C’est en effet la seule fois où le choix de rester ou de partir a été proposé à un groupe homogène de transportés, car il ne faut pas en douter l’option entre la nationalité française ou la nationalité allemande n’a été pour eux qu’une opportunité, un prétexte où l’idée de Nation ou de Patrie n’avait qu’un caractère secondaire. Une majorité de 90 % a choisi de s’éloigner définitivement de la ligne bleue de la « Chaîne Centrale ». Certes, les Communards déportés en Nouvelle-Calédonie qui vont également rentrer en masse sont toujours cités en exemple – sur plus de 4000 d’entre eux à peine une vingtaine restent – mais c’étaient des politiques venant d’être amnistiés, alors que dans le cas présent, il s’agit de condamnés aux travaux forcés souvent en cours de peine. Si la Nouvelle-Calédonie avait été ce paradis des forçats que des témoins ou des observateurs, tous issus de la colonisation libre, dénoncent dans leurs écrits pourquoi donc le seul groupe homogène auquel on a proposé le choix de partir ou de rester, celui des Alsaciens-Lorrains, aurait-il opté pour le départ ? D’ailleurs les Alsaciens-Lorrains d’origine libre présents dans la colonie décident à une très grande majorité de rester français.
Dans cet environnement, le caractère d’exemplarité du cas des Alsaciens-Lorrains de « la Nouvelle » aurait dû s’imposer aux réflexions de leurs contemporains comme il s’impose aux nôtres : le grand éloignement constitue dans l’arsenal pénal, l’une des peines les plus redoutées qui soient.
Tandis que ces condamnés ou libérés des travaux forcés rentraient dans leur nouveau pays, laissant aux autorités françaises le soin de poursuivre leur rêve de colonisation pénale, d’autres Alsaciens-Lorrains prenaient leur place. Ils étaient libres, ils avaient quitté cette Alsace-Lorraine allemande dont ils ne voulaient pas pour embarquer sur les deux mêmes navires, l’Orne et le Rhin, à destination de la Nouvelle-Calédonie, poursuivant eux aussi un rêve de colonisation.